Entre larmes et espoir : mon départ vers l’inconnu

Cyprien Guiya

J’ai décidé de partir. Oui, j’ai choisi de m’en aller, car parfois la vie n’a plus de sens. Elle ressemble à un labyrinthe sans issue, comme le disait Arouna dans Un piège sans fin d’Olympe Beryl Quenum. Je dois partir… partir pour affronter la vie, partir pour affronter les difficultés, partir pour faire face à nos problèmes. Il fallait que je parte. Non pas pour fuir, mais pour affronter la vie, pour faire face aux difficultés et aux épreuves qui nous étranglent.

Après la mort d’Ambroise, mon jeune frère, et de Hélène, ma petite sœur, tout s’est effondré. Mes parents n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes : soucieux, brisés intérieurement, ruinés par la mort. Ils avaient été dépouillés de leurs ressources, de leur joie, de leur force. Moi, l’aîné, je suis devenu malgré moi le psychologue de la famille. Mes sœurs n’en pouvaient plus non plus. Les moyens de survie manquaient, la misère s’était installée dans notre quotidien comme un fardeau sans fin. Dans cette obscurité, un ami nous a tendu la main. Grâce à lui, nous avons pu tenir. Mais au fil du temps, je sentais sa fatigue, et moi, j’avais honte… honte de toujours demander de l’aide. Comme le dit un adage populaire : « Seul le vol n’est pas une honte ». Alors j’ai décidé de partir, partir non par égoïsme, mais par amour. Je voulais sauver ma famille, j’avais pitié de mes parents. Allais-je les laisser sombrer dans cette misère qui nous dévorait, qui nous avait tout arraché ? Cette misère qui avait tué mes frères, qui nous avait humiliés, grugés, traumatisés ? Non. J’ai connu des situations qui mettaient même ma vie en danger, il fallait que je parte, c’était la dernière solution.


Quand j’annonçai ma décision, maman ne mangea plus. Papa non plus. Mes sœurs pleuraient en silence. Le lendemain, pour ne pas les laisser dans le désespoir, je les ai réunis. Je leur ai expliqué mes raisons, malgré tout l’amour que j’avais pour eux. Papa m’écoutait, le regard perdu. Puis il lâcha ces mots, comme une pierre tombant dans un puits :
— Comment vas-tu t’en sortir là-bas, sachant que nous n’avons personne pour t’aider, sur cette terre étrangère ?
Et là, pour la première fois de ma vie, je vis mon père s’effondrer en larmes, comme un enfant. Maman aussi. Mes sœurs. Moi également. Je les ai pris dans mes bras. Les larmes de papa coulaient sur mon épaule, lourdes comme du plomb. Je leur disais doucement :
— Je pars loin des yeux, mais près du cœur. J’irai en Europe. Et chaque fois que vous aurez un problème, comptez sur moi. Ce n’est que la mer qui nous sépare. Je pars pour mettre fin à cette misère…
Nous avons tous pleuré, ensemble.
Le soir du départ, nous arrivâmes à l’aéroport. Tristesse générale. Mais au moment d’embarquer, l’agent de contrôle m’arrêta :
— Monsieur, votre visa n’est pas conforme. Vous ne pouvez pas voyager.
Je crus que mon cœur allait s’arrêter. J’avais pourtant acheté le billet à l’agence officielle de la compagnie Royal Air Maroc… C’était une escroquerie. Jamais ils ne m’ont remboursé. Ce soir-là, c’est mon rêve qui s’écroulait. Mais je me suis relevé. J’ai pris un prêt, coûte que coûte, et j’ai acheté un billet Air France pour concrétiser ce voyage.

Le jour du nouveau départ, tout s’était bien passé avec la compagnie française. Dans l’avion, je retrouvai un souffle de joie. Les hôtesses françaises, souriantes et accueillantes, passaient dans l’allée. Leur chaleur contrastait avec la froideur de mon chagrin. Je me suis surpris à sourire aussi. J’ai goûté au plat servi, et j’ai demandé qu’on m’apporte du vin rouge une deuxième fois, pour célébrer mon départ. À travers le hublot, les nuages blancs s’étendaient comme une mer infinie. J’avais l’impression de toucher le ciel. Pendant un instant, j’ai oublié la misère, j’ai oublié la douleur. J’étais suspendu dans la beauté immense des cieux. Le voyage était parfait, je me suis plongé dans un petit sommeil, un rêve m’emporta… Je continuais de rêver quand la charmante hôtesse s’approcha et chuchota à mon oreille :
— Monsieur, redressez votre siège et attachez votre ceinture, nous approchons de l’atterrissage.
Cotonou-Paris en 7 heures s’était écoulé pour moi comme quelques secondes. J’aurais voulu rester longtemps encore dans ce vol.

Nous atterrîmes à Paris, une ville qui bouge ! Je pouvais apercevoir tout le monde courir, on dirait des gens poursuivis par une armée invisible. Moi, je restais figé, les yeux écarquillés, comme un vrai villageois. Cela fit que la police à la frontière m’identifia facilement. Une jeune policière m’approcha et me demanda poliment si c’était ma première fois à Paris. Je répondis oui. Après plusieurs questions qu’elle me posa, elle m’aida à remplir mes papiers avec un sourire et prit mes empreintes. Quelle gentillesse ! Après mes formalités, je restai longtemps dans l’aéroport et fasciné par sa grandeur, je voyait des avions qui descendaient et d’autres qui s’envolaient. Le monde bouge, pensais-je. Pendant ce temps, je pensais à mon oncle Gbetoglo, qui n’a jamais quitté le village et qui n’a jamais vu un avion autrement qu’au bout du ciel, si lointain et si fin qu’on ne peut l’apercevoir. Je pensais aussi à mon village Tchankada, toujours plongé dans le noir, sans eau, sans route. Eux n’ont jamais rêvé de monter dans un Boeing… Et moi, j’y étais monté, et j’étais là, à contempler ces beaux avions. Fasciné par cette beauté de l’aéroport de Paris, j’ai pris quelques photos rapidement, puis je les ai envoyées à papa. Je ne pensais pas qu’il pourrait les voir sur son vieux téléphone Android, mais à ma grande surprise, il a pu les visionner. Il m’a répondu par un vocal tremblant mais heureux : « Grand frère est bien arrivé en Europe ! » Ils étaient tous contents au village, je pouvais percevoir la voix de mes sœurs qui disaient : « Dieu merci, il est bien atterri ! » Oui, il était évident qu’ils soient contents de mon arrivée à destination. Je savais qu’ils priaient pour que j’arrive bien, mais ils ne pouvaient pas imaginer ce qui m’attendait ici : une nouvelle vie, un autre monde, de nouveaux défis. Le travail, l’adaptation, la solitude parfois… La vie du migrant.

Et c’est cette aventure-là que je raconterai dans mon prochain blog.

About Cyprien Guiya

Cyprien is a dedicated agricultural entrepreneur from Benin, committed to empowering women, fostering community development, and initiating social change. His passion for agriculture and vision for a unified world drives his various projects, including this webblog and the websites

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